Investir dans la cryptomonnaie = renoncer à l’écologie ? - The Good Goods (2024)

Construire sa réflexion autour du bitcoin

Pour ou contre le bitcoin ? Finalement, ce ne sera ni le débat, ni l’essence de cet article. Les vérités préétablies et livrables en kit n’existent pas. Si bien que, lorsque nous souhaitons construire notre opinion, il est essentiel de se renseigner et de s’intéresser aux arguments des acteur•ice•s existant•e•s des deux côtés de la balance. Au mieux vous découvrirez un ami insoupçonné, au pire cela confortera votre première pensée. Le risque à prendre est beaucoup moins grand que celui lié au défaut de connaissances. On ne le répètera peut-être jamais assez, mais “qui n’entend qu’une cloche, n’entend qu’un son”. Pour avoir les réponses à nos interrogations, nous sommes allés à la rencontre du pape français de la cryptomonnaie, Monsieur Alexandre Stachtchenko, cofondateur de Blockchain Partner et directeur de Blockchain & Crypto pour KPMG France.

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Petit rappel sur le Bitcoin (easy, promis !)

Le bitcoin, mis en place en octobre 2008 – son papier descriptif – par Satoshi Nakamoto, est une monnaie et un système de paiement entièrement basés sur une architecture “pair à pair”. En effet, ce système permet des échanges directs entre deux ordinateurs connectés à internet. Ceci, permettant de ne plus transiter par un serveur central, que l’on appelle également les tiers (une banque, PayPal, Visa, …).

Il est possible d’émettre cette monnaie grâce au minage – les mineurs sont les entreprises utilisant l’électricité afin d’alimenter des machines de calculs capables de confirmer et de sécuriser l’historique des transactions mondiales.

Attention cependant, l’émission de bitcoins est limitée à 21.000.000, mais nous y reviendrons plus tard au cours de cet article.

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Alexandre Stachtchenko

Cryptomonnaie : faire le diagnostic de la situation

Qui êtes-vous, Alexandre Stachtchenko ?

Hélène Kaufmant : Avant toute chose, pourriez-vous vous présenter à nos lecteur·trice·s ?

Alexandre Stachtchenko :

Il y a sept ans, j’ai fondé une start up – Blockchain Partner – qui effectue des missions de conseil, de stratégie, mais aussi des études de marché, ainsi que des développements plus techniques sur les cryptomonnaies. Depuis mars 2021, notre équipe a rejoint celle de KPMG France, dont je suis le directeur “Blockchain et Crypto”.

Mais j’ai aussi une deuxième casquette. En 2020, j’ai fondé une association, l’ADAN (Association pour le Développement des Actifs Numériques). Finalement, je fais surtout de la stratégie autour des sujets de crypto-monnaies pour les entreprises, et m’implique dans le débat public afin que la France mais aussi l’Europe puissent s’approprier ces sujets et être à la pointe.

Qu’est-ce que la crypto-monnaie ?

H.K. : Les crypto-monnaies restent assez obscures pour le grand public. Pourriez-vous expliquer simplement ce qui se glisse derrière ce terme ?

A.S. : Selon moi, pour rendre ce monde accessible, mieux vaut ne pas employer le terme très générique de “crypto monnaie” qui ne veut pas dire grand chose… Cela revient à mettre dans le même sac des choses fondamentalement différentes. Il est préférable d’aborder le Bitcoin, puis de dériver sur les autres monnaies qui lui ressemblent – le Bitcoin représente en fait l’immense majorité de ce que l’on qualifie de crypto monnaies.

Donc, pour comprendre le bitcoin, il faut comprendre le problème qu’il résout.

Avec la numérisation amenée par l’internet, il y a eu un développement de la gestion de l’information (réseaux sociaux, blogs, médias, etc.) au détriment des acteurs historiques tels que La Poste. Mais il y a un angle mort dans cette gestion : sur internet, nous ne savons faire que de la copie d’informations. Ce qui, par essence, n’est pas viable pour gérer ce qui a de la valeur, parce que tout ce qui a une valeur doit également être d’une certaine rareté.

Et ça, ce n’est pas possible avec l’internet. Pour pallier ce problème, la réponse jusque là a été de trouver un intermédiaire pour toutes les transactions (à travers une banque, PayPal, Visa, …). Ce que fait Bitcoin, c’est qu’il vient répondre à ce problème d’intermédiation en venant calquer ce que sont l’Or et la monnaie dans le monde numérique.

  1. Un calque de l’Or ? À l’inverse d’une monnaie fiduciaire (NDLR : celle majoritairement répandue, que l’on connaît) duplicable à l’infini, le Bitcoin est rare, il n’est pas contrôlé par un État et il est décentralisé.
  2. Un calque de la monnaie ? Le Bitcoin possède des caractéristiques opérationnelles intéressantes. Il est facile à envoyer, il utilise l’internet, il est divisible, nous pouvons le posséder, etc.

C’est grâce à ce savant mélange entre l’Or et le cash numérique qu’il est possible de répondre au problème de l’intermédiation dans les transactions financières. Mais il répond aussi à un problème plus systémique : celui lié à la défiance que nous pouvons avoir du système financier. En effet, se tourner vers le bitcoin, c’est se tourner vers une monnaie qui n’est pas dépendante d’un État, ce qui peut s’avérer très important quand on sait que la plupart des monnaies ne sont pas stables – à part le dollar, le pound, l’euro, le franc suisse et le yen – et ce, même au sein de l’OCDE.

Concernant les autres crypto-monnaies, celles qui sont programmables, comme Ethereum, elles permettent de pousser un cran plus loin cette révolution. Puisqu’elles facilitent également la conditionnalisation, c’est-à-dire qu’elles induisent par nature une plus grande complexité et permettent les prêts, les emprunts, les transactions conditionnelles, l’assurance, etc. Là où bitcoin, lui, ne sert qu’à réaliser des paiements et à conserver son argent.

Une cryptomonnaie n’a pas de légitimité sans utilité

Par logique, toute pratique qui n’a pas d’utilité ne peut être justifiée, surtout si elle comporte des conséquences économiques ET écologiques. Comprendre le bitcoin, c’est aussi comprendre que cette monnaie, en dehors de notre confort occidental, permet à des personnes moins chanceuses de s’insérer au sein du système économique mondial ou tout simplement à l’échelle nationale.

A.S. : Je pense que le sujet, c’est aussi de comprendre l’utilité afin de savoir si cela mérite ce que ça consomme. Sans problème, il est évident que le bitcoin ne remplace rien et n’est même pas utile. En changeant notre focale, nous pouvons voir que les personnes vivant dans la même situation que celle de la France, représentent seulement 10% de la planète. Les 90% restants, ont un quotidien bien différent du nôtre.

Prenons l’exemple du Salvador, qui en a fait une monnaie légale en septembre 2021. La plupart des citoyen•ne•s ne sont pas bancarisé•e•s, pour elles & eux, la seule façon de payer était de se promener d’un bout à l’autre du pays avec leurs épargnes en espèces. Le tout dans un pays qui n’avait plus de monnaie nationale depuis 2001. Ils sont donc passé•e•s d’un système où ¼ de la population avait un compte en banque en dollars à – en l’espace de 6 mois – 75% des Salvadorien•ne•s qui possèdent un portefeuille bitcoin.

Pour une personne ne vivant pas le confort du G8, la réalité du quotidien est bien différente.

Le Bitcoin fait-il bon minage avec la planète ?

H.K. : Dès les premières recherches concernant le Bitcoin, ce qui apparaît dans la quasi totalité des articles et donc, ce que l’on pointe du doigt, c’est sa gourmandise en électricité et les ravages que causent le minage. On parle même d’une consommation électrique annuelle équivalente à celle de la Thaïlande. Que pouvez-vous répondre à cela ?

A.S. : Effectivement, et c’est l’avantage du bitcoin, puisque nous pouvons estimer précisément ce qu’il consomme : autour de 135 TWh par an. Les comparaisons sont donc faciles. Mais on oublie que le jeu des comparaisons est très facile à manipuler : les décorations lumineuses utilisées à la période de Noël aux États-Unis consomment également bien plus que certains pays à l’année… Pourtant nous n’en parlons pas et ça ne semble même pas être un problème d’envergure.

Mais il est aussi possible de faire une comparaison dans l’autre sens : un seul et unique barrage dans le monde est nécessaire pour alimenter la totalité du système bitcoin en énergie. C’est le danger avec les comparaisons, il est possible de leur faire dire ce que nous souhaitons, justement parce que nous utilisons la comparaison qui sera la plus avantageuse pour notre propos, selon notre type de lectorat. Alors oui, le bitcoin consomme autant d’électricité que la Thaïlande à l’année, mais comme tant d’autres choses que nous taisons.

H.K. : Justement, en parlant de consommation électrique, même s’il est impossible d’être exhaustif, qu’est-ce qui est réellement nécessaire pour faire vivre le Bitcoin ?

A.S. : Tout peut se résumer à une chose : le minage de bitcoin sert à valider l’intégrité d’un réseau de transactions. Donc, une fois que nous connaissons la quantité d’énergie nécessaire au minage, nous connaissons la quantité d’énergie nécessaire au bon fonctionnement du bitcoin. Tout le reste est marginal.

H.K. : Comment justifier une telle dépense énergétique ?

A.S. : La raison pour laquelle le bitcoin consomme de l’électricité, c’est que le système du minage est construit pour qu’il consomme. Cette consommation est faite pour sécuriser le réseau. Parce que si le bitcoin était simple à créer, il ne vaudrait rien.

Repenser et remplacer un système monétaire traditionnel

Le Bitcoin consomme et pollue. Alors, que penser de ce système lorsque l’on sait que nos banques utilisent l’argent que nous y avons placé pour financer les énergies fossiles ? Et que ce système bancaire est responsable de la génération de 41% des émissions carbones par personne à l’année ?

Comme le rappelle le rapport de l’OXFAM : “​​En 2018, les émissions de gaz à effet de serre issues des activités de financement et d’investissem*nt des quatre principales banques françaises – BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale et BPCE – dans le secteur des énergies fossiles ont atteint plus de 2 milliards de tonnes équivalent CO2 , soit 4,5 fois les émissions de la France cette même année. Ce chiffre très élevé témoigne non seulement de l’ampleur de la dépendance des banques aux énergies fossiles, mais aussi du rôle moteur qu’elles continuent à jouer pour entraîner le système vers toujours plus d’énergies fossiles.

H.K. : Selon vous, le Bitcoin est capable d’offrir une stabilité économique par rapport à notre actuel système bancaire mais également d’offrir une alternative plus verte. Pouvez-vous détailler ce dernier point ?

A.S. : Exactement, le bitcoin est par essence un système qui tend vers ce que nous appelons les industries vertes et ce pour deux raisons. La première est liée à l’organisation même de ce système puis à sa façon de fonctionner.

Un pas vers plus de sobriété

A.S. : À raison, ceux qui ont des convictions écologiques pensent que la solution consiste à aller vers un mode de vie plus sobre. Ce qui est absolument impossible avec notre système économique actuel. En effet, cela relève de l’illusion que de croire que nous pouvons aller vers un système économique sobre avec une monnaie reproductible à l’infini. Un de nos exemples les plus récents date du confinement lié à la crise sanitaire du COVID-19. Lorsque l’économie se contracte, qu’ont fait les banques centrales ? Elles ont soutenu l’économie en…créant de la monnaie ! Et ce, afin de perpétuer l’illusion collective d’une croissance, ce qui est par essence incompatible avec la décroissance et la sobriété. Simplement parce que sans croissance, c’est tout le système qui s’effondre : l’euro, s’il n’est pas dépensé, vous fait perdre votre pouvoir d’achat.

Alors qu’avec le bitcoin, plus nous attendons, plus nous gagnons en pouvoir d’achat. Dans un système de rareté comme celui du bitcoin, la tendance générale est à la hausse. Le comportement économique rationnel des agents économiques est donc d’attendre, de reporter sa consommation, voire de suspendre celle superflue, ce qui est particulièrement bénéfique à l’environnement.

Quand écologie rime avec économie

À de nombreux égards, le bitcoin est une chance pour l’écologie. La façon dont fonctionne le minage a un avantage immense par rapport aux autres industries : c’est qu’il se fiche de savoir où il est, du moment qu’il a une connexion internet stable.

Pour faire levier avec cet avantage compétitif majeur, il faut aller chercher l’électricité la moins chère, parce qu’un mineur a peu de marge de manœuvre sur ses revenus. L’endroit pour pouvoir se différencier est donc le coût de cette énergie. Et l’énergie la moins chère n’est pas celle fossile, puisqu’elle pilotable. Ce que n’est pas une énergie renouvelable, évidemment, sans vent, l’éolienne ne tourne pas.

Pour ce type d’énergie, il est impératif d’installer une capacité largement supérieure à la demande, afin de pouvoir générer de l’énergie même lorsque les conditions climatiques ne sont pas favorables. Il y a donc des surplus structurels et ce sont ces derniers qui vont être utilisés par les mineurs.

Une autre source d’énergie pour le bitcoin est constituée par le recyclage des déchets pétroliers. Dans une exploitation pétrolière, les nappes laissent s’échapper du méthane qui n’est généralement pas présent en quantité suffisante pour le transporter en gazoduc. Dans un quart des cas, les pétroliers brûlent ce gaz. C’est là qu’interviennent les mineurs. N’ayant pas besoin des réseaux électriques, ils peuvent s’installer avec une simple génératrice pour transformer ce méthane en électricité. Nous passons alors du méthane au CO2, ce qui est quand même moins dommageable pour l’environnement.

Mais nous avons aussi des exemples d’un impact positif direct sur l’environnement. Prenez l’exemple de Sébastien Gouspillou, un mineur français qui a permis de ralentir le déboisem*nt de la forêt vierge au Congo en se positionnant comme talon énergétique si la construction d’un barrage hydraulique avait lieu. Ce qui a été fait et l’impact a été presque immédiat sur la coupe d’arbres.

En bref : L’électricité la moins coûteuse est en règle générale issue des énergies renouvelables ou de l’optimisation des déchets. Même si ce n’est pas toujours le cas, comme par exemple pour la Mongolie intérieure, avant que la Chine n’interdise le minage (le charbon y est subventionné). Mais c’est plus conjoncturel que structurel. Effectivement, structurellement le bitcoin a tout à gagner à aller vers les énergies vertes ou les solutions vertes car ce sont les plus économiques. Les études parlent d’ailleurs de 50 à 75% d’utilisation d’énergies renouvelables.

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Author: Msgr. Refugio Daniel

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Job: Mining Executive

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